• Un monde moderne

Publié le par cine.gi

Un monde moderne (vost) documentaire de Arnaud Soulier et Sabrina Malek
durée : 1h24
sortie le 7 septembre 2005

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Synopsis
Depuis quelques années, les Chantiers de l’Atlantique à Saint-Nazaire ont mis en place une nouvelle organisation du travail afin de baisser les coûts de production. Le principe est de faire massivement appel à la sous-traitance et à l’intérim. Parallèlement à la construction du plus grand paquebot du monde, le Queen Mary 2, les salariés des Chantiers nous racontent comment ils vivent cette précarité organisée. Quelles conséquences cette réorganisation induit-elle au niveau individuel et collectif ?
Quels changements implique-t-elle dans les conditions et les rapports au travail ?

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Filmer le travail
« Les prémices de ce film remontent à septembre 2002 lorsque le Centre de Culture Populaire de Saint-Nazaire (association inter-comité d’entreprise) nous accueille en résidence pour un an. Cette longue immersion nous a permis de savoir quel film nous désirions faire, Un monde moderne ou comment le travail s’est réorganisé ces dernières années aux Chantiers de l’Atlantique, précarisant de plus en plus les salariés – cette réorganisation étant pour nous symptomatique des changements qui traversent
le monde du travail dans son ensemble.
Pénétrer à l’intérieur des Chantiers de l’Atlantique pour filmer le travail en toute liberté s’est avéré impossible car nous n’avons jamais obtenu les autorisations de tournage.
L’impossibilité de filmer le travail ne nous a pas empêchés pour autant de faire exister celui-ci dans le film. Nous sommes restés aux portes de l’entreprise, au plus près des grilles et c’est de cette place, à cette « distance » que nous avons filmé le travail. En fait, la représentation du travail a très peu été prise en charge par le cinéma. Il suffit de penser aux frères Lumière qui déjà filmaient aux portes de leur usine (cf. La sortie des usines Lumière). Très souvent, lorsque des caméras ont pu pénétrer sur des lieux de travail, il s’agissait de situations exceptionnelles où de fait le travail était arrêté (grève, occupation, fermeture, délocalisation…). Comme si, encore aujourd’hui, la question de la représentation du travail restait taboue. Nous avons donc choisi de mettre en scène cette interdiction et avons posé notre caméra dans les principaux lieux qui entourent les Chantiers. C’est la parole ouvrière qui nous y a fait pénétrer.
»

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Intention
« Une ville, Saint-Nazaire.
Des champs verdoyants, des vaches dans les prés, au fond la Loire et ses tumultes. Les essieux claquent sur les jointures des rails. Nous sommes dans le train entre Nantes et Saint-Nazaire. Une dizaine de kilomètres avant l’arrivée, de grosses cuves de stockage remplacent les vaches dans les prés. Ce sont les réservoirs de pétrole de la raffinerie de Donges. Une odeur âcre et désagréable pénètre l’ensemble du train pour s’estomper un ou deux kilomètres après avoir traversé les enchevêtrements de tuyaux de la raffinerie. Donges est le point de départ d’une succession de sites industriels qui longent la Loire jusqu’au centre ville. Le terminal pétrolier, le terminal méthanier, les docks et ses nombreuses entreprises de stockage, ou de transformation, l’aérospatiale avec ses gros hangars qui accueillent les avions en construction, et enfin en bout de chaîne, l’une des deux fiertés de la ville, avec le pont qui enjambe la Loire, « Les Chantiers de l’Atlantique ». Ici on dit « les Chantiers » ou « la Navale » c’est selon. Les Chantiers sont tout de suite identifiables par leur immense pont roulant marqué à l’effigie de Alstom et par les cheminées des « rois des mers » qui dominent les infrastructures des Chantiers.
Les essieux grincent sous la pression des freins, nous entrons en gare. Dès la descente du train, nous voilà plongés tout de suite dans l’univers de Saint-Nazaire. Au fond, dans l’alignement des rails, les paquebots en construction dominent les toits de la ville. La gare n’échappe pas non plus à la destinée de cette cité, elle est construite en forme de paquebot.
Au centre ville, les rues très larges, toutes perpendiculaires les unes aux autres, sont bordées d’immeubles n’excédant pas quelques étages. L’architecture date des années cinquante, elle rappelle celle de Brest, Caen ou Calais. Rasée pendant la guerre, Saint-Nazaire a été reconstruite sur le modèle « américain ». Contrairement à La Baule, située à quelques kilomètres, ici le front de mer n’est pas le centre névralgique de la ville.
Ni restaurants ni cafés, seuls quelques bancs épars bordent la promenade. La ville semble résolument tourner le dos à la mer. Ces premières impressions passées, ce qui attire particulièrement notre attention c’est le nombre important d’agences intérimaires. Au fil du temps, elles ont peu à peu remplacé les bars du centre ville et du quartier de Penhoët près des Chantiers. Cette présence massive renforce notre sentiment d’une ville construite, structurée, organisée autour d’un seul axe, le travail. Pour autant, l’image du travail que nous avions dans un premier temps perçue comme une image forte se manifeste finalement à nous sous l’angle de la précarité, de la fragilité.
Comment cette précarité organisée s’est-elle installée à Saint-Nazaire ?
»

Réorganisation du travail ou organisation de la précarité
« Vilvorde, Lewis, Marks & Spencer, Lu, plus récemment Métal Europe, autant de noms qui nous évoquent licenciements, perte d’identité sociale, régions meurtries, drames humains. L’enjeu du film ne sera pas de faire le constat de la fermeture de telle ou telle entreprise et de ses conséquences, mais de prendre la mesure de la généralisation voir de la normalisation du travail précaire et à partir de là, questionner les modifications qui s’opèrent dans le rapport au travail qu’ont les salariés dans ce nouveau contexte.
Depuis quelques années nous assistons à des bouleversements profonds dans l’organisation du travail et par conséquent dans la perception de celuici. Ainsi, peu à peu, on exige des salariés plus de polyvalence, plus de disponibilité, plus de souplesse dans l’aménagement du temps de travail, plus de mobilité, plus de rentabilité, etc. En contrepartie, il est question de temps libre, de société des loisirs. Il se dessine petit à petit une société illusoire faite de carton-pâte, où, avec un simple ticket de loterie, on devient millionnaire, où un passage à la télévision nous donne accès à la célébrité, où acheter une voiture, une maison, des vêtements, un four à micro-ondes seraient nos seules préoccupations, où finalement le désir d’avoir l’emporterait sur le désir d’être. Où de ce fait le travail, sa place et les conditions
dans lesquelles il s’effectue ne seraient plus d’actualité.
»



« Il ne s’agit pas non plus dans ce film, d’avoir une vision nostalgique se référant à un « eldorado » disparu, où le salarié partait « au boulot » l’âme légère. Qu’il soit en CDI ou intérimaire un ouvrier reste un ouvrier. Par contre l’effritement d’une force de contre-pouvoir dans les relations entre salariés et patrons, la remise en cause de certains acquis sociaux et de nombreuses conventions collectives, l’affaiblissement des organisations syndicales, ont accompagné cette modification de l’organisation du travail présentée comme une nécessité voir une fatalité. Comment le vivent et qu’en pensent les premiers concernés ? Quelles conséquences cette nouvelle réorganisation du travail induit-elle au niveau individuel et collectif ? Qu’est-ce que cela modifie du rapport que les salariés ont à leur travail ? Des rapports entre salariés ? Quelle identité sociale peut se construire à partir de ces changements ?
Cette réorganisation présentée comme nécessaire et inéluctable, pour qui veut rester compétitif dans un monde en pleine mutation, risque à moyen terme d’amener nos société « modernes » vers une désorganisation totale. D’année en année, le statut du salarié se dégrade. D’ici quelque temps, que restera-t-il de ce statut ? Existera-t-il encore ou chaque individu, indépendant, vendra-t-il sur le marché du travail sa force de production ?
»

« Le fractionnement en de multiples petites sociétés au profit d’une plus grosse (la sous-traitance) ainsi que la multiplication de statuts plus ou moins précaires pour les salariés, regroupés en petites unités (l’intérim) le laissent penser. Ce schéma s’observe dans tous les secteurs de la société. Dernièrement, la réforme de la retraite et du statut des intermittents du spectacle et bientôt celle du régime de la sécurité sociale s’inscrivent dans cette même logique. En effet, sous couvert de liberté et d’indépendance, nos sociétés « modernes » tendent à fabriquer des individus qui doivent se « prendre en charge », devenir chacun « une entreprise », détruisant ainsi tout ce qui relève du collectif. Chez les salariés, souvent les plus jeunes, ces notions sont peu à peu intégrées. De plus, la diversité du travail proposé, l’augmentation des responsabilités les confortent dans ce sentiment. Pourtant ces mêmes salariés avouent êtres confrontés à des conditions de travail de plus en plus difficiles physiquement et psychologiquement. Par ailleurs la notion de métier semble se dissoudre pour se réduire uniquement au fait de travailler pour gagner sa vie.
Nous avons le sentiment que ce qui a contribué à l’acceptation de cette situation par certains salariés, c’est une rupture de transmission qui s’est opérée dans les vingt dernières années. Comme si les plus jeunes des salariés ne semblaient plus s’inscrire dans l’histoire sociale du pays. Le seul sens qu’ils semblent mettre dans ce qu’ils font, c’est de gagner de l’argent sans se soucier particulièrement du collectif, des acquis sociaux. Cette logique, nous la retrouvons aussi du côté des employeurs. Une vision à court terme domine.
Ainsi l’autre conséquence de cette réorganisation du travail est une déliquescence du lien social.
»

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Fiche technique
Réalisation : Sabrina Malek & Arnaud Soulier
Production : VLR Productions, Les films de mars
Distribution : Les films de mars en coproduction avec Arcadi
Partenariat : Le Centre de Culture Populaire de Saint-Nazaire Périphérie
Coproduction : Berbère Télévision et Cityzen Télévision
Avec l’aide de : La Ville de Saint-Nazaire, Le Centre national de la Cinématographie
Image : Arnaud Soulier
Son : Sabrina Malek
Montage : Emmanuelle Legendre
Illustration sonore : César Hélium et Dimi Déro
Mixage : Jean-Marc Schick
Étalonnage : Eric Salleron
Traduction : Uma Damodar Sridhar, Niranjani Iyer, Marthe Popovici

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présentation réalisée avec l’aimable autorisation de
remerciements à Arnaud Soulier
logos, textes & photos © www.lesfilmsdemars.com

Publié dans PRÉSENTATIONS

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