In girum imus nocte et consumimur igni

documentaire
durée : 1h40
sortie le 12 octobre 2005
Synopsis
Le cinéma de Guy Debord, associant images detournées et commentaires off, prolonge le refus critique du spectacle developpé par l'auteur dans ses livres et dans son activité au sein de l'Internationale situationniste.
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Note de l’auteur rajoutée dans la seconde édition d’In girum... édition critique, parue chez Gallimard en 1999Il y a un déplacement dans In girum…, qui tient à plusieurs importantes différences : Debord a tourné directement une partie des images, il a écrit directement le texte pour ce film, enfin le thème du film n’est pas le spectacle mais au contraire la vie réelle. Il reste que les films qui interrompent le discours viennent plutôt le soutenir positivement, même s’il y a une certaine dimension ironique (Lacenaire, le Diable, le fragment de Cocteau, ou l’anéantissement du régiment de Custer). La Charge de la Brigade légère veut « représenter », très lourdement et élogieusement, une dizaine d’années de l’action de l’I.S. ! L’emploi de la musique, tout aussi détournée que le reste, a toujours une intention positive, « lyrique », jamais distanciée.

« Tout le film (aussi à l’aide des images, mais déjà dans le texte du “commentaire”) est bâti sur le thème de l’eau. On y cite donc les poètes de l’écoulement de tout (Li Po, Omar Kháyyám, Héraclite, Bossuet, Shelley ?), qui tous ont parlé de l’eau : c’est le temps.
Il y a, secondairement, le thème du feu ; de l’éclat de l’instant : c’est la révolution, Saint-Germain-des-Prés, la jeunesse, l’amour, la négation dans sa nuit, le Diable, la bataille et les “entreprises inachevées” où vont mourir les hommes, éblouis en tant que “voyageurs qui passent” ; et le désir dans cette nuit du monde (“nocte consumimur igni”).
Mais l’eau du temps demeure qui emporte le feu, et l’éteint. Ainsi l’éclatante jeunesse de
Saint-Germain-des-Prés, le feu de l’assaut de l’ardente “brigade légère” ont été noyés dans l’eau courante du siècle quand elles se sont avancées “sous le canon du temps”… »

Cette intégrale des films de Guy Debord, dix ans après sa mort et vingt ans après que son auteur – ignominieusement mis en cause dans l’assassinat de son ami éditeur et producteur Gérard Lebovici – eût réagi en les faisant retirer des écrans, devient donc accessible à un public autre qui, depuis 1995, nous la réclamait.
C’est en juin 1952 que Guy Debord réalise son premier film Hurlements en faveur de Sade, présenté comme une entreprise « pour un terrorisme cinématographique ». Il a vingt ans. Le film fait scandale. « Ce qui, chez moi, a déplu d’une manière très durable, c’est ce que j’ai fait en 1952 », écrira-t-il, plus tard, dans Panégyrique tome premier.
Ce film est en quelque sorte la clef de voûte qui sous-tend et, du même coup, éclaire tout le reste. C’est un film sans images. Des voix se succèdent, tandis que l’écran est blanc, qui sont interrompues par du silence plus ou moins long, durant lequel l’écran reste totalement
noir. Comme les deux faces d’un même et seul miroir, vides. Paroles, silence ; clair et obscur ; vrai et faux ; public et privé.
« Au moment où la projection allait commencer, Guy-Ernest Debord devait monter sur la scène pour prononcer quelques mots d’introduction. Il aurait dit simplement : il n’y a pas de film. Le cinéma est mort. Il ne peut plus y avoir de films. Passons, si vous voulez, au débat », annonce une des voix.
De quoi faudrait-il à présent débattre ? De ce qui nie tout ce qui n’est pas la vie, la vraie, elle-même partout absente.
« On ne conteste jamais réellement une organisation de l’existence sans contester toutes les formes de langage qui appartiennent à cette organisation. » La forme devra correspondre au contenu. « Au centre de l’expression aujourd’hui, je crois qu’il faut bien voir la place de cette notion de détournement, qui me semble être, à tout le moins, la base de cet “art critique” […] inséparablement négation et prélude dans la culture, au tournant de la culture.
En prenant le sens le plus large de son apparition, cette maladie de la culture (maladie positive aussi en ce sens qu’elle termine quelque chose, et s’ouvre sur d’autres dimensions, effectives ou revendiquées) peut être diagnostiquée à l’exaspération de la citation (dérisoire dans l’accumulation, et qui rompt avec la “citation” en tant que telle), somme d’allusions à toute une culture, passée ensemble avec l’histoire même que l’on communique », écrivait-il à un ami, en octobre 1960, à propos du film Sur le passage de quelques personnes à travers une assez courte unité de temps.
Avec Critique de la séparation, en 1961, la voix de Guy Debord que l’on entend, va dorénavant s’imposer, seule. « La fonction du cinéma est de présenter une fausse cohérence isolée, dramatique ou documentaire, comme remplacement d’une communication et d’une activité absentes. Pour démystifier le cinéma documentaire, il faut dissoudre ce que l’on appelle son sujet […] il faut recourir à d’autres moyens. »
Un des autres moyens expérimentés sera aussi de porter la théorie à l’écran. Avec La Société du spectacle, Guy Debord réalisera en 1973 le projet qu’avait eu Eisenstein de faire, avec Le Capital de Marx, un film.
En 1975, Réfutation de tous les jugements, tant élogieux qu’hostiles, qui ont été jusqu’ici portés sur le film « La Société du spectacle », fera la démonstration qu’« aucun film n’est plus difficile que son époque », et qu’« aucun perdant n’aime l’Histoire ».
Si le film Hurlements en faveur de Sade est à rapprocher de Mémoires, In girum imus nocte et consumimur igni, réalisé en 1978, annonce Panégyrique.
Dans tous les films on a, tour à tour, les deux faces tendues du même miroir que figure l’écran : tout le noir « les yeux fermés sur l’excès du désastre » et, cette page vierge chargée d’exprimer l’incommunicable, l’intransmissible comme « il convient de détruire la mémoire dans l’art ». L’écran blanc, vierge de toute image, ne figurant pas, selon l’interprétation d’un critique en décembre 1955, le comble de l’art en matière cinématographique, mais « le comble de sa négation ».
Pour finir, c’est de sa voix-même que Guy Debord a voulu nous priver. En 1994.
Le Noir revient… c’est encore le premier… ou c’est toujours le seul.
Tel, donc, a été son art, tel aussi fut son temps.
« En fin de compte, les oeuvres seules nous diversifient », est-il dit dans Hurlements, qui ne parle pas de Sade.
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Assistants réalisateurs : Elisabeth Gruet et Jean-Jacques Raspaud
Chef opérateur : André Mrugalski
Assistant opérateur : Richard Copans
Montage : Stéphanie Granel, assistée de Christine Noël
Ingénieur du son, mixage : Dominique Dalmasso
Bruitage : Jérôme Levy
Documentaliste : Joëlle Barjolin
Machiniste : Bernard Largemain
Musique : François Couperin, prélude du Quatrième Concert royal premier mouvement du Nouveau Concert n° 11. Benny Golson, Whisper not (interprété par Art Blakey et les Jazz Messengers).
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présentation réalisée avec l’aimable autorisation de
et 
remerciements à Elodie Avenel
logos, textes & photos ©
vidéos


remerciements à Elodie Avenel
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