La saveur de la pastèque

(interdit -16 ans)
avec :
Lee Kang-sheng, Chen Shiang-chyi, Lu Yi-Ching
durée : 1h55
sortie le 30 novembre 2005
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Synopsis
La sécheresse est telle à Taiwan que la population est invitée à remplacer l’eau par le jus de pastèque.
Elle, c'est en volant l'eau des toilettes publiques qu'elle subsiste.
Lui, c'est en montant sur les toits, la nuit tombée, qu’il tente de se rafraîchir en se baignant dans les citernes d’eau de pluie.
Solitaires, assoiffés, épuisés par la chaleur et le désir, ils se retrouvent pour mieux se perdre dans l'excitation torride et la saveur de la pastèque…
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Avant propos
Tsai Ming-Liang : « Quand j'ai entendu “Un nuage au bord du ciel ” pour la première fois, les paroles étaient différentes :
"Ce coeur brisé, cette âme seule / Qui viendra les consoler ? / En silence, je fixe le ciel…"
J'étais à l'école primaire, mais je me souviens encore des premiers vers.
C'était la traduction d'une chanson en anglais, “The wayward wind” (Le vent contraire).
A l'époque, on aimait beaucoup les films de cowboys, et bien des chansons populaires chinoises étaient des traductions de succès occidentaux.
Bai Guang, une chanteuse très connue alors, avait repris cet air pour en donner une nouvelle version. C'est celle que l'on entend ici.
En 1999, j'ai quitté Taipei pour Kuala Lumpur. J'allais y préparer un film sur des travailleurs immigrés. J'avais passé de nombreuses années loin de ma Malaisie natale et, bizarrement, ce retour m'a soudain inspiré une histoire sur les aventures et les errances que j'y avais vécues. Le titre qui m'est tout de suite venu était “The wayward cloud”. »
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Entretien
Harold Manning : « Comment avez-vous présenté le projet de “La Saveur de la Pastèque” à vos collaborateurs et à vos comédiens ? »
Tsai Ming-Liang : « Nous n’avons pas eu de longues conversations ! À Lu Yi-Ching, qui joue d’habitude le rôle de la mère dans mes films, j’ai dit : “ Cette fois, tu seras une actrice de porno. ” Elle m’a répondu : “ Ah bon... bon, eh bien… d’accord ! ” (rires) Tout simplement. Ni elle, ni les autres ne m’ont demandé comment j’allais les filmer, les cacher ou les montrer, etc... Nous avons l’habitude de travailler ensemble. Mes collaborateurs savent ce que je recherche en faisant des films; cette fois encore, ils m’ont suivi sans hésitation. Je ne dis pas que cela a été facile pour les comédiens, bien au contraire, mais sur le tournage, je n’ai essuyé aucun refus.
Il n’y avait pas de gêne. Cela a été un très beau travail d’équipe. Avec Chen Shiang-Chyi (l’héroïne), nous avons beaucoup discuté de la fin, elle a donné son point de vue pour qu’on arrive à un dénouement encore plus fort. Certains spectateurs croient qu’elle s’est “sacrifiée” pour cette fin, mais nous l’avons conçue ensemble et elle a été formidable. »
H. M. : « Donner ce rôle à Lu Yi-Ching, est-ce une provocation ? »
T. M.-L. : « Non. Son rôle n’est pas dans la continuité des précédents. J’ai justement souhaité rappeler par ce choix que chaque film est pour moi détaché des autres, c’est une expérience renouvelée et non pas le nouvel épisode d’un feuilleton. Chaque film dépend d’abord énormément du moment où je l’ai conçu, de mon état d’esprit, de mes interrogations. Et puis ma motivation, c’est aussi l’observation de mes acteurs. Dans chaque film, je regarde Lee Kang-Sheng et les autres, je les regarde changer au fil du temps. Si je provoque, ce n’est ni par goût ni par choix, c’est parce que je vais au plus près d’eux et de moi-même. Cela prime sur l’histoire que je raconte. Je ne fais pas des films pour raconter des histoires. »
H. M. : « Pourquoi ? »
T. M.-L. : « Cela me semblerait… dommage. J’aurais l’impression de ne fabriquer qu’un produit. Un produit qui pourrait bien vite être remplacé par un autre. »
H. M. : « Pourtant, il y a bien à l’origine un scénario tout à fait “classique”… »
T. M.-L. : « Le scénario est un outil, il sert à rassembler les énergies. C’est un point de départ. Le film lui échappe très vite. “La Saveur de la Pastèque” n’est pas un film porno, ce n’est pas une comédie musicale non plus... C’est un travail de fiction, basé sur des sentiments plutôt que sur des idées. »
H. M. : « Le cinéma pornographique vous intéresse-t-il ? »
T. M.-L. : « Je m’y intéresse… comme tout le monde ! (rires) C’est un objet de consommation, qu’on prend quand on en a besoin, quand on cherche de l’excitation, comme un film d’action hollywoodien ! D’ailleurs, à Taiwan, on trouve ces films tout aussi facilement, qu’ils soient européens, américains ou japonais… Non, je ne regarde pas beaucoup de films X. J’ai toujours un sentiment de culpabilité à regarder ces corps et très vite, j’ai l’impression que ce sont des hommes et des femmes exploités et interchangeables, comme des objets de consommation. Mais pour préparer “La Saveur de la Pastèque”, j’ai visionné pas mal de films, en vitesse accélérée. C’est un genre qui diffère peu du cinéma le plus commercial : il faut aller vite, donner au client ce qu’il est venu chercher, et gagner immédiatement le plus d’argent possible… Cela m’a quand même posé pas mal de questions qui m’intéressent : en quoi ces films qui veulent tant s’approcher du réel sont-ils documentaires ? Est-ce un genre qui peut porter une réflexion ? Par exemple, le porno a souvent recours au gros plan. Il le fait même à outrance. S’il s’agit de filmer des parties du corps de très près pour comprendre, analyser et décortiquer leur mystère (comme le font les écrans vidéo des chirurgiens dans une salle d’opération), alors oui, ça m’intéresse. »
H. M. : « L’eau coule beaucoup dans vos films. Ici, il y a pénurie. »
T. M.-L. : « Le manque d’eau déclenche effectivement chez les personnages une soif inhabituelle qu’ils n’éprouveraient pas autrement. Une soif, un désir, c’est la réponse à un manque, à une absence. C’est un révélateur, une prise de conscience. Ils n’y penseraient même pas si l’eau était abondante. Dans la vie de tous les jours, tout semble être disponible à la demande. On ne distingue l’essentiel que lorsqu’il vient à manquer. »

H. M. : « La sortie en salles de “La Saveur de la Pastèque” a-t-elle posé problème ? »
T. M.-L. : « Taiwan a une véritable culture démocratique et il n’y a d’habitude pas de problème de censure. Ici, j’admets que le film dépasse les critères habituels d’interdiction aux mineurs. Il est assez audacieux par rapport à ce qu’on montre habituellement du corps dans le cinéma asiatique. Nous n’avons pas votre expérience. Filmer le corps, en Asie, est très compliqué. Beaucoup de tabous demeurent… Dans ce contexte, j’ai beaucoup
apprécié le débat qui a eu lieu à Taiwan autour du film. L’accueil que nous avons reçu à Berlin et les prix décernés au film (l’Ours d’Argent de la meilleure contribution artistique, le Prix Alfred Bauer de l’innovation cinématographique et le Prix de la Critique Internationale) ont fait naître une curiosité. Bien sûr, la presse taiwanaise, qui n’était pas à Berlin, a d’abord été friande des échos salaces. Mais comme la censure n’a finalement pas demandé de coupe, le débat s’est vite recentré sur le film : “Est-ce du porno ou de l’art ?”, “La renommée internationale d’un film doit-elle nous faire tout accepter ?”, “Doit-on encourager les gens à voir des acteurs se montrer ainsi ?” Le film a fait la couverture de tous les journaux.
Il y a bien eu quelques provocations envers certains comédiens du film, mais le débat a été large et très intéressant. C’est la première fois en quinze ans qu’un film taiwanais d’art et essai obtient un tel succès.
“La Saveur de la Pastèque” a été vu par autant de spectateurs que mes six précédents longs métrages réunis. »
H. M. : « Avant de le tourner, voyez-vous un film comme une épreuve, une nouvelle montagne à franchir ou bien comme la continuation du cours de la même rivière ? »
T. M.-L. : « C’est une interrogation permanente chez moi : pourquoi faire des films ? Je suis perpétuellement en recherche, et c’est ce qui m’aide à avancer. Chaque projet répond à une question de nécessité personnelle. Mais concevoir un projet, chercher à montrer ce qui m’inquiète ou ce qui m’obsède me procure un immense sentiment de libération. Enfin, je me sens libre ! Je suis en paix avec mes interrogations, même si je ne leur trouve pas forcément de réponse définitive. En terminant un film, étrangement, je perds cette liberté. On charrie tous ses bagages, son passé, sa culture… On est toujours attaché à quelque chose qui vous enferme. C’est en repensant à un nouveau film que je retrouve ma liberté. Je voudrais montrer cela aux spectateurs : contrairement aux apparences, le cinéma n’a pas de modèle unique. Tout y est possible. Le cinéma est un moyen pour accéder à la liberté. »
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Corps
Des beaux. Des laids. Des corps à la peau douce.
Des corps à la peau froissée. Des corps précieux. Des corps faciles.
Ceux qui peuvent être violés. Ceux qui peuvent être vendus.
Et si le corps était un récipient à remplir ?
Qu’est-ce qui pourrait donc le satisfaire ?
Eau, nourriture, amour, argent, sexe
Et toutes les autres soifs humaines.
Pourquoi le corps cherche-t-il, avance-t-il sans cesse ? Pourquoi ne veut-il jamais s’arrêter ?
N’y a-t-il donc personne qui puisse s’arrêter et prendre un instant pour quelqu’un ?
Un corps singulier. Des désirs multiples.
Pénétrer ou être pénétré par un autre corps.
Comme la rencontre de deux nuages qui, ensemble, tomberont en pluie pour arroser la terre.
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Pornographie
Il y a toujours une porte toute simple, toute banale,
une porte secrète, qu’on pousse dès que personne ne vous regarde.
On n’a jamais rencontré qui que ce soit, là-dedans,
alors on croit être le seul au monde à mater de la pornographie.
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Amour
Aujourd’hui, dans cette société de consommation,
existe-t-il quelque chose qui ne puisse pas être vendu, dont on ne puisse pas tirer profit ?
Non, rien.
Clips vidéo, magazines pornos, comédies romantiques, kiosques téléphoniques, films X,
sous-vêtements déjà portés, escortes tarifées, putes, reins, poils de torse.
Rien, si ce n’est l’amour.
Et tu peux t’en payer, de l’amour ?
Et tu y crois encore, à l’amour ?
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Fiche technique
Réalisation et scénario : Tsai Ming-Liang
Directeur de la photographie : Liao Pen-Jung
Montage : Chen Sheng-Chang
Son : Tu Duu-Chih / Tang Shiang-Chu
Directeur artistique : Yip Kam-Tim
Décors : Lee Tian-Jue
Costumes : Sun Hui-Mei
Chorégraphie : Peggy Wu
Directrice de production : Yeh Ju-Feng
Producteur exécutif : Vincent Wang
Producteur délégué : Bruno Pesery
Une co-production : Arena Films, Homegreen Films et Arte France Cinéma avec la participation du Centre National de la Cinématographie et du G. I. O. Taiwan.
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présentation réalisée avec l’aimable autorisation de
Edition
remerciements à Charles Vannier et Alexandre Cerf
logos, textes & photos © www.pan-europeenne.com Edition et photos © William Laxton

remerciements à Charles Vannier et Alexandre Cerf
logos, textes & photos © www.pan-europeenne.com Edition et photos © William Laxton